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Santé au travail et IA : quel horizon pour 2035 ?

Une décennie de ruptures (2015-2025)

La décennie 2015-2025 a profondément transformé les entreprises françaises. Accélérée par la digitalisation puis bouleversée par la crise sanitaire de 2020, cette période a vu la généralisation du télétravail, une remise en question du rapport au travail et l’émergence de nouvelles attentes salariales.

L’analyse rétrospective de cette période révèle une déconnexion critique et coûteuse entre les indicateurs de performance économique traditionnels et l’état de santé réel du capital humain. Le constat est clair : ignorer la santé des collaborateurs n’est plus une option viable, mais une erreur stratégique majeure dont les conséquences financières et opérationnelles sont désormais mesurables et significatives.

Ce guide stratégique analyse cette décennie passée pour identifier les fractures et projette les tendances clés jusqu’en 2035, afin d’armer les directions d’entreprise pour naviguer les défis à venir, notamment l’impact de l’IA.

⚠️ – L’analyse clé pour la Direction

Ce document s’adresse aux comités de direction, DRH et DAF. Il démontre que la santé au travail n’est pas un centre de coût mais un levier de performance essentiel. Il fournit une feuille de route pour anticiper les ruptures (démographie, IA, réglementation) et bâtir une organisation résiliente et performante à l’horizon 2035.

Photo de Nahil Benkhaï, Kinésithérapeute

Nahil Benkhaï

Cet article a été rédigé par Nahil Benkhaï, kinésithérapeute, Ergonome et Co-responsable RSE chez PhysioLock.


Le décrochage silencieux : panorama des indicateurs de santé et de productivité (2015 – 2025)

L’analyse de la dernière décennie met en lumière une divergence préoccupante : alors que les entreprises investissaient dans la technologie, la productivité stagnait et la santé des collaborateurs se dégradait.

1. La productivité française : une croissance ralentie et un décrochage post-crise

Un ralentissement structurel des gains de productivité touche les économies développées, mais la France a connu un « décrochage » notable depuis 2019.

  • Le chiffre clé : En 2023, la productivité apparente du travail se situait 5 points en deçà de sa tendance de croissance pré-crise (2011-2019).
  • Les causes structurelles :
    • L’essor massif de l’apprentissage, bien que positif pour l’emploi, a pesé mécaniquement sur la productivité horaire moyenne (contribution de 0,9 à 1,2 point à l’écart).
    • Les politiques de soutien à l’emploi durant la crise ont maintenu des effectifs dans des secteurs à activité réduite.
  • Le paradoxe moderne : Malgré des investissements technologiques massifs, la productivité stagne. Cela suggère que la capacité humaine à exploiter ces outils est devenue le facteur limitant. Le décrochage n’est pas qu’une statistique, c’est le symptôme d’une tension organisationnelle.

(Visualisation suggérée : Graphique 1 : Évolution Comparée de la Productivité et de l’Absentéisme en France (2015-2025), montrant la divergence post-2020)

2. L’érosion du capital humain : l’explosion de l’absentéisme

Parallèlement, les indicateurs de santé au travail se sont alarmés, avec une hausse spectaculaire de l’absentéisme.

  • État des lieux 2023 :
    • Taux d’absentéisme national : 6,11%.
    • Moyenne : 22,3 jours d’absence par salarié sur l’année.
    • Près de 37% des salariés ont eu au moins un arrêt.
  • La mutation clé : La hausse est tirée par les arrêts de longue durée (plus de 90 jours). Leur volume a augmenté de plus de 30% depuis 2019 et ils représentent plus de la moitié du total des jours d’absence.
  • Les causes profondes : Ce glissement révèle la prédominance croissante des risques psychosociaux (RPS). Les arrêts pour motifs psychologiques (burn-out, anxiété) représentent un tiers des arrêts longs et ont augmenté de 40% depuis 2020. L’absentéisme est devenu un indicateur avancé de la santé organisationnelle.

3. Segmentation : les fractures du monde du travail

Les moyennes nationales cachent des réalités très différentes selon les contextes.

  • Géographique : Des disparités régionales persistent (ex: Île-de-France vs Hauts-de-France), mais des variations locales fortes existent même au sein d’une région (ex: Essonne).
  • Taille d’entreprise : Inversion historique. L’absentéisme a explosé dans les PME et ETI, rejoignant voire dépassant les niveaux des grands groupes. Le pourcentage de salariés arrêtés a bondi de 13 points entre 2021 et 2023 dans les 10-49 salariés. Les PME subissent les mêmes pressions avec moins de ressources pour y faire face.
  • Sectorielle : Les secteurs les plus touchés restent ceux combinant pénibilité et charge émotionnelle (Santé/Action Sociale : 8,5% en 2024 ; Transports : 6,8%). Les services financiers, IT ou conseil s’en sortent mieux.

Tableau 1 : Tableau de Bord Comparatif Performance & Santé, 2019 vs. 2024, segmenté par secteur/taille

IndicateurFrance 2019France 2024 (est.)Services Fin. 2024 (est.)Industrie 2024 (est.)Tech/Conseil 2024 (est.)TGE (>5000) 2024 (est.)ETI (250-999) 2024 (est.)
Taux absentéisme (%)5,5%6,0%4,5%6,8%4,2%5,5%6,2%
Part arrêts longs (>30j) (%)8%10%7%12%6%11%10%
Jours absence / salarié / an20,222,016,424,815,320,122,6
Turnover volontaire (%)12%16%14%11%20%13%15%
Productivité horaire (base 100)10098101961039997

Sources : Synthèse Ayming, Malakoff Humanis, WTW, INSEE. Estimations 2024 basées sur tendances 2023-2025.


La facture du désengagement : quantification du coût de la non-santé et du ROI des actions QVT

La dégradation de la santé au travail n’est pas qu’un problème humain, c’est un passif financier majeur pour les entreprises.

1. L’iceberg des coûts cachés : chiffrer l’inaction

Le coût de l’inaction est bien plus élevé que celui de la prévention.

  • Le coût direct : L’absentéisme coûte en moyenne entre 3 500 € et 4 059 € par an et par salarié. Pour certaines entreprises, cela peut atteindre 10% de la masse salariale.
  • Les coûts indirects (l’iceberg immergé) : Souvent non mesurés, ils sont 2 à 3 fois supérieurs aux coûts directs et incluent :
    • Perte de productivité des équipes.
    • Surcharge des présents (risque d’épuisement).
    • Retards, baisse de qualité, insatisfaction client.
    • Temps de gestion administrative et managériale.
  • Le coût du présentéisme : Un salarié présent mais diminué coûte environ 2 740 € par an.

2. L’investissement santé : un levier de performance économique

Investir dans la Qualité de Vie et des Conditions de Travail (QVCT) génère un retour sur investissement (ROI) élevé.

  • Le ROI moyen : Les études convergent autour d’un ROI de 2,5 à 4,8 euros pour chaque euro investi (ANACT, PWC).
  • Les gains tangibles :
    • Baisse de l’absentéisme : -25% à -40%.
    • Réduction du turnover : -35%.
    • Augmentation de la productivité : +20% à +30%.
    • Diminution des accidents du travail : -45%.
  • L’exemple Danone : Une approche structurée de la QVCT a généré un ROI de 3,1 (absentéisme -35%, turnover -25%).
  • Les actions efficaces : Le ROI provient des actions structurelles (organisation du travail, formation managériale RPS, ergonomie et prévention TMS – qui représentent 88% des maladies professionnelles) plutôt que des avantages périphériques.

Les forces de rupture : mégatendances structurelles et nouvelles attentes (2025–2035)

La prochaine décennie sera façonnée par des forces profondes qui redéfiniront la performance et le bien-être au travail.

1. Démographie : le mur du vieillissement et l’impératif de la prévention de l’usure

Le vieillissement de la population active est inéluctable et transforme la gestion des carrières.

  • La tendance : La population active commencera à diminuer vers 2040. D’ici 2035, en IDF, la part des actifs de 60 ans et plus doublera (passant de <6% à 10%).
  • Le nouvel enjeu : La « durabilité de la carrière » remplace la « gestion des seniors ». Il faut s’assurer que les collaborateurs restent en bonne santé et performants sur plus de 40 ans.
  • La stratégie : La prévention de l’usure (physique/TMS, psychologique/RPS) devient une stratégie continue, investissant dans la santé et la formation tout au long de la vie pro pour que les seniors restent des atouts.

2. Organisation du travail : l’hybride et la semaine de 4 jours, entre flexibilité et fragmentation

Les nouveaux modèles sont attendus mais leur impact dépend de leur mise en œuvre.

  • L’hybride : Positif pour la santé mentale pour 66% des bénéficiaires, mais risqué si mal encadré (isolement, hyper-connexion, complexité managériale).
  • La semaine de 4 jours :
    • Avec réduction du temps (ex: 32h) : Résultats spectaculaires (absentéisme -65%, burn-out -68%, productivité +35%).
    • Avec compression (35h sur 4j) : Piège potentiel (journées plus éreintantes pour 43%, santé dégradée pour 20%).
  • La clé : La flexibilité réussie exige une refonte des processus, une formation managériale forte et des outils pour maintenir la cohésion.

3. Réglementaire & sociétal : la santé comme actif stratégique (ESG/CSRD)

La réglementation consacre la santé au travail comme un pilier de la performance extra-financière.

  • La rupture CSRD : La directive européenne impose un reporting de durabilité standardisé, détaillé et audité.
  • Le pilier « Social » (ESRS S1) : Exige des indicateurs précis sur les conditions de travail, la santé-sécurité (absentéisme, AT), la formation, etc.
  • Le calendrier : Premiers rapports en 2025/2026 selon la taille de l’entreprise.
  • La conséquence : Fin du « healthwashing ». La performance sociale devient publique, scrutée par les investisseurs et les talents. La santé des collaborateurs est un actif stratégique impactant réputation et valorisation.

Focus spécial – l’IA comme levier et risque pour la performance humaine

L’Intelligence Artificielle est la rupture technologique majeure à venir, avec un double potentiel.

1. L’IA, amplificateur de productivité et de bien-être

Déployée judicieusement, l’IA peut résoudre des problèmes clés du travail moderne.

  • Automatisation intelligente : Libérer jusqu’à 10% du temps des collaborateurs en gérant les tâches répétitives, permettant de se recentrer sur la valeur ajoutée.
  • Réduction de la charge mentale : Synthétiser l’information, préparer les décisions, prioriser les tâches pour lutter contre la surcharge cognitive.
  • Prévention personnalisée :
    • Identifier les signaux faibles de RPS via l’analyse de données anonymisées pour une intervention précoce.
    • Analyser les postures en temps réel (vision par ordinateur) pour prévenir les TMS.

2. L’IA, générateur de nouveaux risques psychosociaux

Une implémentation non maîtrisée peut aggraver les RPS.

  • Hyper-connexion et intensification : Accélération des flux, pression pour une productivité accrue et une disponibilité constante.
  • Déshumanisation et surveillance : Monitoring continu (« scoring »), management algorithmique rigide, érosion de la confiance et de l’autonomie.
  • Biais et iniquité : Amplification des discriminations si les algorithmes sont entraînés sur des données biaisées.

La bifurcation stratégique : L’IA peut être un outil d’augmentation (au service de l’humain) ou de contrôle (extraction d’efficience). Ce choix est culturel et managérial, nécessitant un cadre éthique clair.


Conclusion : vers une performance durable ancrée dans la santé

La décennie 2015-2025 a révélé une vérité incontournable : la performance économique ne peut plus être décorrélée de la santé physique et mentale du capital humain. Le coût de l’inaction (absentéisme, désengagement, perte de productivité) dépasse largement celui de l’investissement en prévention.

À l’aube de 2035, face aux défis démographiques, organisationnels, réglementaires (CSRD) et technologiques (IA), les entreprises doivent opérer un changement de paradigme :

  • Passer d’une gestion réactive des absences à une stratégie proactive de « durabilité des carrières ».
  • Considérer la santé et la QVT non comme des coûts, mais comme des investissements à fort ROI, essentiels à la performance durable.
  • Déployer l’IA comme un outil d’augmentation, au service de l’humain, en définissant un cadre éthique strict.

La performance de demain se construira sur la capacité des entreprises à intégrer la santé comme un actif stratégique, piloté au plus haut niveau et transparent dans leur reporting. C’est la condition pour rester compétitif, attractif et résilient dans le nouveau paysage du travail.

Sources

Pour la rédaction de cet article, nous nous sommes appuyés sur les publications et données des institutions de référence suivantes :

  1. INSEE (Blog)À la recherche des gains de productivité perdus depuis la crise sanitaire
  2. Malakoff HumanisBaromètre Absentéisme Malakoff Humanis 2025
  3. AMF (Autorité des Marchés Financiers)Le reporting de durabilité CSRD : se préparer aux nouvelles obligations
  4. ANACT (Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail)Investir dans le dialogue de proximité et la QVCT, c’est productif
Photo de Nahil Benkhaï, Kinésithérapeute

Nahil Benkhaï

Cet article a été rédigé par Nahil Benkhaï, Kinésithérapeute, Ergonome et co-responsable RSE chez PhysioLock. Nahil supervise la validation des sources de données, la structuration des études comparatives et s’assure de l’objectivité de chaque publication.

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