Marque employeur : de l’investissement santé au capital humain
Le diagnostic de 2015 à aujourd’hui
La décennie 2015-2025 a révélé une vérité simple : le capital humain est devenu l’actif le plus critique pour la compétitivité. Pourtant, sur cette même période, la France a pris un retard notable. Nos entreprises peinent à transformer leurs politiques de santé et de qualité de vie au travail (QVT) en un avantage stratégique quantifiable.
Ce rapport stratégique, destiné au Comité Exécutif, démontre que ce décalage n’est plus une simple question de confort social. Il s’agit d’une érosion directe de la performance opérationnelle et de la valeur de la marque employeur. Ignorer la santé des collaborateurs est devenu une erreur stratégique coûteuse.
⚠️ – L’analyse clé pour le Comité Exécutif
Ce document quantifie le lien direct entre l’investissement en santé, la performance des RH et les résultats financiers. Il établit le retour sur investissement (ROI) de la prévention et compare la position française à celle des leaders mondiaux. L’objectif : fournir une base factuelle pour réorienter la stratégie d’entreprise vers une performance ancrée dans le capital humain.
La chaîne de valeur : de la santé du salarié à la performance de l’actionnaire
Le lien entre le bien-être au travail et la performance de l’entreprise est souvent intuitif. L’objectif de cette analyse est de le quantifier pour en faire un véritable outil de pilotage.
1. Les inputs : l’investissement français en santé & QVT (un pilotage insuffisant)
L’analyse révèle une faiblesse structurelle en France : un manque de pilotage stratégique des investissements en santé et QVT.
- Budget limité : Seules 24% des entreprises allouent un budget santé au-delà de leurs obligations légales.
- Orientation « Bien-être » vs. « Santé » : Les actions privilégient souvent le confort ponctuel plutôt qu’une politique de prévention structurée (RPS, santé mentale).
- Perception « Coût » vs. « Investissement » : La prévention est encore vue comme une dépense, et ce, malgré un ROI moyen prouvé de 2,2 € pour 1 € investi.
- Sous-investissement probable : Les estimations suggèrent un investissement proactif souvent inférieur à 0,1% de la masse salariale, un chiffre dérisoire face aux coûts générés par le désengagement.
2. Les outputs : l’impact direct sur le capital humain (des indicateurs alarmants)
Ce sous-investissement se traduit par une dégradation préoccupante des indicateurs RH. Il crée une véritable « dette humaine » qui pèse sur l’avenir.
Indicateurs Clés de Santé et de Bien-être :
- Santé Mentale : La situation est critique en 2025. Près d’un salarié sur deux se déclare en situation d’épuisement, et 35% estiment que le travail a un impact négatif direct sur leur santé psychologique.
- Absentéisme : La croissance est exponentielle. On note une hausse de +41% en cinq ans (2020-2025), avec une durée moyenne record de 23,3 jours en 2024. Comme le détaille notre analyse complète de l’absentéisme, les troubles psychologiques en sont la première cause.
- Engagement (eNPS) : Les scores sont en berne. Seul un tiers (34%) des salariés ressentent un réel bien-être au travail en 2024.
Indicateurs Clés de Marque Employeur :
- Turnover : La fidélisation est en échec. Le taux moyen approche les 15% et a grimpé de +66% en dix ans.
- Attractivité : L’attraction des talents est difficile, avec un délai de recrutement moyen qui s’étire entre 32 et 39 jours.
3. Les outcomes : l’impact sur le compte de résultat
La dégradation de ces indicateurs RH se répercute mécaniquement sur la performance financière.
- Impact sur la Productivité : Un salarié heureux est +12% plus productif. Un salarié désengagé coûte -10% en productivité. Une bonne santé mentale permet 2,4 fois plus de chances de maintenir sa concentration.
- Impact sur les Coûts : Le coût de l’inaction est colossal. Le mal-être au travail est estimé à 13 440 € par an et par salarié (coûts directs et indirects). Un recrutement raté coûte entre 45 000 € (employé) et 200 000 € (cadre).
- Exemple : À l’échelle d’une ETI de 1 000 salariés, l’inaction représente un coût potentiel de plus de 13 millions d’euros par an.
4. La chaîne de valeur quantifiée (le ROI démontré)
À l’inverse, un investissement ciblé génère un retour financier quantifiable :
- Input (1 €) : Un investissement ciblé sur le soutien psychologique et la formation des managers à la détection des RPS.
- Output (RH) : Réduction du stress, amélioration de l’eNPS, et baisse de l’absentéisme d’origine psychologique (la 1ère cause d’arrêts longs).
- Output (Marque Employeur) : Amélioration de l’image (Glassdoor), baisse du délai de recrutement et réduction du turnover (de -25% à -65% selon les actions).
- Outcome (Business) : Économies nettes sur les coûts de recrutement (3k€ à 10k€ par embauche évitée) et gain de productivité. Le ROI global moyen est de 2,2 €.
Avec la moitié des salariés en épuisement, ignorer la santé mentale revient à négliger la maintenance d’un actif critique. C’est une erreur de gestion qui engage la responsabilité du Comité Exécutif, y compris sur le plan du risque légal.
Cartographie comparative : la France en décrochage stratégique
La performance française est non seulement faible dans l’absolu, mais elle devient préoccupante lorsqu’on la compare aux standards internationaux.
1. Focus France : les spécificités du marché parisien (stress multiplicateurs)
En Île-de-France, des facteurs structurels exacerbent les risques.
- Temps de Transport : 34 minutes en moyenne (contre 19 en province), une source de fatigue chronique.
- Coût de la Vie : +7% à +9% (logement +40% à +49%), une source de stress financier permanent.
C’est la « double peine » : une concurrence accrue pour les talents et des collaborateurs structurellement plus exposés au stress. Une politique QVT ambitieuse n’y est plus une option, mais une condition de survie.
2. Benchmark international : les leçons des leaders (culture vs. programmes)
L’avantage concurrentiel des pays leaders (Scandinavie, Pays-Bas, Allemagne) ne repose pas sur des programmes de surface, mais sur une intégration culturelle et systémique de la santé au travail.
- Scandinavie : L’équilibre de vie est culturel (ex: « fika »), le management basé sur la confiance, et les politiques publiques sont fortes.
- Pays-Bas : Leaders de l’équilibre (seuls 0,4% travaillent de longues heures contre 7,7% en France) avec le taux d’emploi le plus élevé de l’UE.
- Allemagne : Le cadre légal est proactif (évaluation des risques psychologiques obligatoire) et l’investissement en santé mentale massif (11,3% des dépenses de santé).
- Canada : Une stratégie fédérale structurée pour la santé mentale au travail et un écosystème de ressources.
Le paradoxe français : 84% des dirigeants déclarent la santé comme une priorité, mais les résultats ne suivent pas. L’investissement semble mal orienté (surface vs. structure). L’avantage des leaders est leur maturité culturelle : la santé y est un actif stratégique intégré.
| Indicateur | France (2023-25) | Allemagne | Pays-Bas | Suède | Canada | Source(s) |
| Taux Absentéisme (%) | ~6,1% / 4,5% * | 6,1% (jours) | ~5,0% | 16,7% (2020) | N/A | 8 |
| Taux Turnover (%) | ~15% | ~10-12% | <10% | <10% | ~11% | 11 |
| Salariés longues heures (%) | 7,7% | N/A | 0,4% | 1,1% | 3,7% | 32 |
| Score Équilibre Vie (OCDE) | 6,2 (2024) | 5,2 (2024) | 5,6 (2024) | 5,7 (2024) | 4,7 (2024) | 41 |
| Priorité Santé (Dirigeants) | 84% | 44% | 72% | 82% | Forte | 38 |
*Note : Taux d’absentéisme France variable selon sources/méthodologies.
Conclusion : la santé, actif stratégique pour la compétitivité future
La décennie 2015-2025 a prouvé que la performance économique durable est indissociable de la santé du capital humain. Le coût de l’inaction dépasse désormais largement celui de la prévention, et la France accuse un retard stratégique.
Pour la décennie 2025-2035, qui sera marquée par l’IA et de nouvelles mutations du travail, transformer la santé en avantage compétitif exigera :
- Un pilotage stratégique : Mesurer le coût total de la « non-santé », suivre le ROI des actions QVT, et intégrer ces indicateurs au reporting (CSRD).
- Un investissement ciblé : Prioriser les actions structurelles à fort ROI (prévention RPS/TMS, formation managériale, ergonomie).
- Une transformation culturelle : Passer d’une logique de « bien-être » périphérique à une culture de « performance durable », où la santé est un pilier managérial et organisationnel.
La santé des collaborateurs n’est plus un sujet RH périphérique. C’est un enjeu de compétitivité qui doit être porté au plus haut niveau de l’entreprise.
Sources
Pour la rédaction de cet article, nous nous sommes appuyés sur les publications et données des institutions de référence suivantes :
- Malakoff Humanis – Baromètre Santé des salariés 2023
- OCDE – L’Indicateur du Vivre Mieux de l’OCDE
- INSEE – Emploi, chômage, revenus du travail
- Great Place To Work – Stress and Wellbeing at Work

