Marque employeur : de l’investissement santé au capital humain
Introduction : le diagnostic rétrospectif
La dix dernières années ont imposé le capital humain comme l’actif le plus critique pour la compétitivité des entreprises. Pourtant, durant cette période, la France a pris un retard notable dans la transformation des politiques de santé et de qualité de vie au travail (QVT) en avantage stratégique mesurable.
Ce rapport stratégique, destiné au Comité Exécutif, démontre que ce décalage n’est plus une question de confort social, mais une érosion directe de la performance opérationnelle, de la valeur de la marque employeur et de la compétitivité économique. Ignorer la santé des collaborateurs est devenu une erreur stratégique coûteuse.
⚠️ – L’analyse clé pour la Direction
Ce document quantifie le lien entre l’investissement santé, la performance RH et les résultats financiers. Il établit le ROI de la prévention et compare la France aux leaders mondiaux, fournissant une base factuelle pour réorienter la stratégie d’entreprise vers une performance durable ancrée dans le capital humain.
La chaîne de valeur : de la santé du salarié à la performance de l’actionnaire
Le lien entre bien-être au travail et performance business est souvent intuitif. L’objectif ici est de le quantifier pour en faire un outil de pilotage.
1. Les inputs : l’investissement français en santé & QVT (un pilotage insuffisant)
L’analyse révèle une faiblesse structurelle en France : le manque de pilotage stratégique des investissements santé/QVT.
- Budget limité : Seulement 24% des entreprises ont un budget santé dédié au-delà des obligations légales.
- Orientation « bien-être » vs « santé » : Les actions privilégient souvent le confort ponctuel plutôt qu’une politique de prévention structurée (RPS, santé mentale).
- Perception « coût » vs « investissement » : La prévention est encore vue comme une dépense, malgré un ROI moyen prouvé de 2,2 € pour 1 € investi.
- Sous-investissement probable : Les estimations suggèrent un investissement proactif souvent inférieur à 0,1% de la masse salariale, un chiffre dérisoire face aux coûts générés par le désengagement.
2. Les outputs : l’impact direct sur le capital humain (indicateurs dégradés)
Le sous-investissement se traduit par une dégradation alarmante des indicateurs RH, créant une « dette humaine » qui pèse sur l’avenir.
Indicateurs Clés de Santé et de Bien-être :
- Santé Mentale : Situation critique en 2025.
- 1 salarié sur 4 se déclare en mauvaise santé mentale.
- 35% estiment que le travail a un impact négatif sur leur santé psychologique.
- Près de 2 salariés sur 3 signalent des problèmes psychologiques liés au travail.
- 1 salarié sur 2 se déclare en situation d’épuisement.
- Absentéisme : Croissance exponentielle.
- +41% en cinq ans (2020-2025).
- Durée moyenne record : 23,3 jours en 2024.
- Les troubles psychologiques sont la première cause des arrêts longs.
- Engagement (eNPS) : En berne.
- Seulement 34% des salariés ressentent du bien-être au travail en 2024.
- L’adoption croissante de l’eNPS permettra de mieux mesurer cette érosion.
Indicateurs Clés de Marque Employeur :
- Turnover : Difficulté à fidéliser.
- Taux moyen autour de 15%.
- +66% en dix ans.
- Hausse continue des démissions en CDI (5,7% en 2015 -> 8,2% en 2019).
- Attractivité : Difficulté à attirer.
- Délai de recrutement moyen élevé : 32 à 39 jours.
3. Les outcomes : la traduction en performance business (coûts et productivité)
La dégradation des indicateurs RH impacte directement le compte de résultat.
- Impact sur la Productivité :
- Salarié heureux = +12% de productivité.
- Salarié désengagé = -10% de productivité (voire -31% à -43% selon d’autres études).
- Bonne santé mentale = 2,4 fois plus de chances de maintenir la concentration.
- Impact sur les Coûts : Le coût de l’inaction est colossal.
- Mal-être au travail = 13 440 € par an et par salarié (coûts directs et indirects).
- Recrutement raté = 45 000 € (employé) à 200 000 € (cadre).
- Exemple : Pour 1 000 salariés, l’inaction peut coûter plus de 13 millions d’euros par an.
4. La chaîne de valeur quantifiée (le ROI démontré)
Un investissement ciblé génère un retour financier quantifiable :
- Input (1 €) : Investissement dans le soutien psychologique et la formation managériale (détection RPS).
- Output RH : Réduction du stress, amélioration de l’eNPS, baisse de l’absentéisme psychologique (1ère cause d’arrêts longs).
- Output Marque Employeur : Amélioration de l’image (Glassdoor…), baisse du délai de recrutement, baisse du turnover (-25% à -65% possible).
- Outcome Business : Économies sur les coûts de recrutement (3k€ à 10k€ par embauche évitée) et de remplacement. Gain de productivité. ROI global moyen = 2,2 €.
Le risque systémique de la santé mentale : Avec la moitié des salariés en épuisement et les troubles psychologiques comme première cause d’arrêts longs, ignorer la santé mentale revient à négliger la maintenance d’un actif critique. C’est une erreur de gestion stratégique relevant de la responsabilité du Comité Exécutif.
Cartographie comparative : la France en décrochage stratégique
La performance française, déjà faible, est encore plus préoccupante face aux standards internationaux.
1. Focus France : les spécificités du marché parisien (stress multiplicateurs)
En Île-de-France, des facteurs structurels exacerbent les risques.
- Temps de Transport : 34 minutes en moyenne (vs 19 en province), source de fatigue chronique.
- Coût de la Vie : +7% à +9% vs province (logement +40% à +49%), source de stress financier permanent.
- La « double peine » : Concurrence accrue pour les talents ET collaborateurs plus exposés au stress/épuisement. Une politique QVT ambitieuse y est une condition de survie, pas une option.
2. Benchmark international : les leçons des leaders (culture vs. programmes)
L’avantage concurrentiel des pays leaders (Scandinavie, Pays-Bas, Allemagne, Canada) repose sur une intégration culturelle et systémique de la santé au travail.
- Scandinavie : Équilibre vie pro/perso culturel (ex: « fika »), management basé sur la confiance/autonomie, politiques publiques fortes. Absentéisme élevé mais reflétant une culture « ne pas venir travailler malade ». Scores OCDE « Better Life » élevés.
- Pays-Bas : Leaders mondiaux de l’équilibre (seulement 0,4% travaillent de longues heures vs 7,7% en France). Taux d’emploi le plus élevé de l’UE (82,4%).
- Allemagne : Cadre légal proactif (évaluation des risques psychologiques obligatoire), investissement massif en santé mentale (11,3% des dépenses de santé). Absentéisme suivi (15,1 jours/salarié en 2023).
- Canada : Stratégie fédérale structurée pour la santé mentale au travail, écosystème de ressources. Turnover volontaire plus faible (~11%).
Le paradoxe français : 84% des dirigeants déclarent la santé comme priorité (taux élevé), mais les résultats ne suivent pas. L’investissement semble mal orienté (surface vs culture). L’avantage des leaders est leur maturité culturelle : la santé y est un actif stratégique intégré.
| Indicateur | France (2023-25) | Allemagne | Pays-Bas | Suède | Canada | Source(s) |
| Taux Absentéisme (%) | ~6,1% / 4,5% * | 6,1% (jours) | ~5,0% | 16,7% (2020) | N/A | 8 |
| Taux Turnover (%) | ~15% | ~10-12% | <10% | <10% | ~11% | 11 |
| Salariés longues heures (%) | 7,7% | N/A | 0,4% | 1,1% | 3,7% | 32 |
| Score Équilibre Vie (OCDE) | 6,2 (2024) | 5,2 (2024) | 5,6 (2024) | 5,7 (2024) | 4,7 (2024) | 41 |
| Priorité Santé (Dirigeants) | 84% | 44% | 72% | 82% | Forte | 38 |
*Note : Taux d’absentéisme France variable selon sources/méthodologies.
Conclusion : la santé, actif stratégique pour la compétitivité future
La décennie 2015-2025 a prouvé que la performance économique durable est indissociable de la santé du capital humain. Le coût de l’inaction dépasse largement celui de la prévention, et la France accuse un retard stratégique face aux économies qui ont intégré cette réalité culturellement.
Pour la décennie 2025-2035, transformer la santé au travail en avantage compétitif exige :
- Un pilotage stratégique : Mesurer le coût total de la non-santé, suivre le ROI des actions QVT, intégrer ces indicateurs au reporting (CSRD).
- Un investissement ciblé : Prioriser les actions structurelles (prévention RPS/TMS, formation managériale, ergonomie) à fort ROI.
- Une transformation culturelle : Passer d’une logique de « bien-être » périphérique à une culture de « performance durable » où la santé est un pilier managérial et organisationnel.
La santé des collaborateurs n’est plus un sujet RH périphérique, mais un enjeu de compétitivité qui doit être porté au plus haut niveau de l’entreprise.
Sources
Pour la rédaction de cet article, nous nous sommes appuyés sur les publications et données des institutions de référence suivantes :
- Malakoff Humanis – Baromètre Santé des salariés 2023
- OCDE – L’Indicateur du Vivre Mieux de l’OCDE
- INSEE – Emploi, chômage, revenus du travail
- Great Place To Work – Stress and Wellbeing at Work

